Les chiens sont-ils les nouveaux enfants ?
Alors que les taux de natalité diminuent en Occident, le nombre de propriétaires d'animaux de compagnie a explosé, ce qui soulève une question intrigante : les chiens deviennent-ils nos nouveaux enfants ?
Dans un contexte de baisse des taux de natalité, le nombre de propriétaires d'animaux de compagnie en France, et dans une grande partie de l'Ouest, n'a jamais été aussi élevé. Plus que jamais, les chiens occupent une place centrale dans de nombreux foyers et sont traités de plus en plus comme des membres aimés de la famille, voire comme des substituts des enfants. Cet attachement croissant aux animaux de compagnie est-il une réponse directe à la baisse de la fécondité, ou existe-t-il une dynamique sociale plus profonde en jeu ?

La surparentalité des animaux de compagnie : une tendance croissante
En 2023, Hélène Gateau, vétérinaire et personnalité médiatique, a suscité une frénésie sur les réseaux sociaux avec son livre Pourquoi j'ai choisi d'avoir un chien (et pas un enfant) [« Pourquoi j'ai choisi un chien (et non un enfant) »]. Gateau embrasse ouvertement sa vie de célibataire et son lien profond avec son Border Terrier, Colonel.
La préface du livre, écrite par Sylvain Tesson, compare avec humour la parentalité canine à l'éducation d'enfants humains, suggérant que s'occuper d'un chien est beaucoup moins épuisant : « Les chiens ne crient pas, ne deviennent pas adolescents (cette race mystérieuse), ne pleurent pas et ne vous reprocheront pas vos méthodes parentales 20 ans plus tard. »
En effet, le nombre de propriétaires d'animaux de compagnie en France est en plein essor, plus de 74 millions d'animaux de compagnie vivant désormais dans des foyers français (poissons inclus). Selon un sondage OpinionWay, 79 % des propriétaires d'animaux de compagnie français considèrent leurs chats ou leurs chiens comme des « piliers de leur vie », tandis que 57 % leur achètent des cadeaux de Noël et 49 % les mettent même dans leur lit le soir. Parmi les jeunes adultes (18 à 24 ans), ces chiffres atteignent respectivement 67 % et 73 %.
Simultanément, l'infécondité volontaire est en hausse. Environ 30 % des Françaises âgées de 18 à 49 ans déclarent désormais ouvertement qu'elles n'ont pas l'intention d'avoir d'enfants, ni maintenant ni dans le futur (Ifop, 2022).
« Double revenu, pas d'enfants... et un chien »
Aux États-Unis, cette tendance a même un nom : « Double revenu, pas d'enfants, avec un chien ». Les réseaux sociaux présentent ce mode de vie comme une nouvelle version du rêve américain. Gateau partage ce sentiment en soulignant l'importante différence financière : « Le coût de l'éducation d'un enfant peut facilement atteindre 250 000 euros, alors que les dépenses annuelles de mon chien avoisinent les 1 500 euros. Mon pouvoir d'achat est clairement supérieur à celui de mes amis qui ont des enfants. »
Une relation nuancée entre la possession d'un animal de compagnie et la baisse des taux de natalité
Mais est-il juste ou juste d'opposer les animaux de compagnie à la parentalité ? La professeure Eniko Kubinyi, responsable de l'éthologie à l'université Eötvös Loránd de Budapest, a exploré cette relation dans une étude récente publiée dans la prestigieuse revue Orientations actuelles des sciences psychologiques.
Selon Kubinyi, « Certaines études indiquent que les propriétaires de chiens perçoivent la maternité de manière plus négative, et les mères qui ont des chiens trouvent leur rôle parental plus exigeant, ce qui peut réduire leur désir d'avoir plus d'enfants. Les chiens peuvent même compliquer les relations amoureuses dans certains cas. Mais ce n'est qu'un aspect de l'histoire. »
Kubinyi souligne également des aspects positifs, tels que les chiens qui servent à « dresser les enfants » et à préparer les propriétaires à la future parentalité. De plus, posséder un chien peut améliorer les interactions sociales et renforcer les liens communautaires.
Les animaux de compagnie en réponse à la baisse du soutien social
Kubinyi soutient que la popularité croissante des animaux de compagnie, au lieu de provoquer directement une diminution du nombre de naissances, est symptomatique de changements sociaux plus généraux. « Les taux de natalité ne baissent pas parce que le nombre de propriétaires de chiens augmente ; les deux phénomènes reflètent plutôt des transformations plus profondes de nos relations sociales », explique-t-elle.
Les humains ont évolué au sein de communautés de soins coopératives, mais les sociétés modernes ont largement démantelé ces réseaux de soutien. Kubinyi souligne qu'en Hongrie, près de 90 % des adultes passent moins d'une heure par semaine à interagir avec de jeunes enfants, ce qui constitue un changement radical par rapport à notre passé communautaire.
Dans ce contexte, les chiens offrent du réconfort, un soutien émotionnel et un amour inconditionnel, des qualités de plus en plus rares dans la vie moderne. « Les chiens sont désormais davantage considérés comme des membres de la famille, ce qui influence profondément leur évolution et leur reproduction », explique Kubinyi. « Les races au museau court et aux traits mignons qui ressemblent à ceux d'un bébé sont devenues extrêmement populaires, probablement parce qu'elles déclenchent notre instinct de soignant, même si elles présentent souvent de graves problèmes de santé. Paradoxalement, ces vulnérabilités renforcent notre attachement et renforcent le lien qui nous unit. »
En fin de compte, les chiens ne remplaceront peut-être pas directement les enfants. Ils comblent plutôt les lacunes émotionnelles créées par l'affaiblissement des liens sociaux et l'évolution des attentes culturelles à l'égard de la famille et de la communauté.